Dans ce nouvel extrait des Nourriture terrestres, André Gide se livre à un exercice rare et périlleux : tenter de laisser sa plume courir au fil des sensations de l'instant.
Eviter toute digression, toute interprétation et essayer de rester sur le fil de la richesse multi sensorielle instant après instant, sans s'appesantir sur quoi que ce soit, ce qui forcerait à "courir" après l'expérience qui n'attend pas.
En un mot, nous rendre ....
"Disponible ! Nathanaël, Disponible !
- et par une attention subite,
simultanée de tous les sens, arriver à faire (c'est difficile à dire) du sentiment même de sa vie, la sensation concentrée de tout l'attouchement du dehors... (ou réciproquement). - J'y suis; là, j'occupe ce trou, où s'enfoncent :
dans mon oreille :
ce bruit continu de l'eau; grossi, puis apaisé, de ce vent dans ces pins;
intermittent, des sauterelles, etc.
dans mes yeux :
l'éclat de ce soleil dans le ruisseau; le mouvement de ces pins... (tiens un
écureuil)... de mon pied, qui fait un trou dans cette mousse, etc.
dans ma chair :
(la sensation) de cette humidité; de cette mollesse de mousse; (ah ! quelle
branche me pique?...) de mon front dans ma main; de ma main sur mon front, etc.
dans mes narines :
... (chut l'écureuil s'approche), etc.
Et tout cela ensemble, etc., en un petit paquet; - c'est la vie; - est-ce tout? - Non! il y a toujours d'autres choses encore.
Crois-tu donc que je ne suis qu'un rendez-vous de sensations? - Ma vie c'est toujours : CELA, plus moi-même. "
Comments