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Méditation et idées reçues (2 - les émotions)

Dernière mise à jour : 24 févr. 2022

La seconde idée reçue largement répandue à propos de la méditation concerne les émotions.


Une image classique est celle du méditant assis en position du lotus, impassible et imperturbable, parfaitement insensible à ce qui se passe autour de lui et ne manifestant donc aucune émotion, hormis peut-être une esquisse de sourire.


Plus récente et plus pernicieuse on trouve aussi, notamment dans les argumentaires des prestations de développement personnel, la promesse que la méditation nous permettrait de "mieux gérer", ou pire "contrôler" nos émotions.


Voyons cela de plus près, et pour cela vous ne serez pas surpris si je vous invite une fois de plus à nous pencher sur l'étymologie du mot "émotion".

Nous y trouvons le verbe latin "movere", mettre en mouvement, qui peut aussi se traduire par toucher, influencer, agiter, remuer, provoquer, et même éloigner.


Les choses sont donc parfaitement claires : les émotions nous entraînent à agir.













Dans les années 70, le psychologue américain Paul Eckman, précurseur dans l'étude de l'expression faciale des émotions, a établi une liste de six émotions fondamentales : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût. Toutes nos émotions plus complexes seraient une combinaison en proportions variables des émotions de base. Mieux : ayant montré des photos d'expressions faciales de personnes appartenant à des cultures du monde entier à des Papous de Nouvelle-Guinée, à l'époque isolés du reste du monde, il avait pu constater que ceux-ci reconnaissaient parfaitement ces émotions, transcendant la barrière culturelle.

Eckman en déduisait que les émotions étaient universelles, et peut être biologiquement "câblées".


Si depuis d'autres études sont venues nuancer ce propos, Eckman ayant lui-même établi une liste élargie de 16 émotions de base dans les années 90, il n'en demeure pas moins que les émotions se sont imposées comme un domaine d'étude important en psychologie. Ainsi le fameux QI (Quotient Intellectuel) s'est vu adjoindre un QE (Quotient Émotionnel), lié à notre capacité à être en présence de nos émotions et de celle des autres. Je vous renvoie pour plus d'informations aux ouvrages de Daniel Goleman, qui a largement diffusé le concept d'intelligence émotionnelle au milieu des années 90.


Néanmoins, tout ceci tend à démontrer que les émotions sont profondément ancrées en nous. L'idée que méditer serait "ne pas avoir d'émotions" est non seulement fausse, mais totalement illusoire. Nous ne pouvons pas plus bloquer nos émotions que nos pensées.


Certes, nous avons tous croisé des personnes qui manifestent pas ou peu leurs émotions. Cela ne veut pas dire qu'elles n'en éprouvent pas pour autant ... Cependant, la "mise ne mouvement" qu'elles provoquent peut se traduire de manière socialement peu acceptable, notamment lorsqu'elle révèle nos vulnérabilités, surtout dans un contexte professionnel. Ainsi, les larmes consécutives à la tristesse peuvent passer pour de la faiblesse, ce qui ressort parfois dans l'éducation que nous recevons dès l'enfance ("un homme, ça pleure pas!", le fameux "Boys don't cry")

D'où cette idée de ne rien montrer, de rester "factuel", bref la poker face à la Buster Keaton.



Ceci nous amène au second cliché : la méditation permet de "gérer" ou "contrôler" nos émotions. C'est une proposition biaisée qui peut tenter plus d'une personne gênée en réalité non par ses émotions, mais par les conséquences indésirables ou fatigantes de la manière dont elles se manifestent au quotidien. Et c'est totalement différent.


Un rappel important : la méditation de pleine conscience consiste à prêter attention à ce qui survient ici et maintenant sans jugement. Or, dans l'idée de "gérer" ou "contrôler", il y a bien l'idée sous-jacente de faire le tri, de distinguer les émotions acceptables ou désirables de celles qui ne le sont pas. D'où le contrôle sur l'expression des émotions dont font preuve certaines personnes que l'on dit d'ailleurs "coupées de leurs émotions". Epuisant, ce contrôle finit tôt ou tard par craquer. La digue se rompt, avec son brutal cortège de dégâts.


La véritable promesse de la pleine conscience n'est donc pas la gestion ou le contrôle des émotions, mais leur accueil, sans réticences. Qu'elle soit agréable ou désagréable, nous allons apprendre à reconnaître une émotion quand elle se manifeste et se déploie, dans le corps et dans l'esprit par les pensées qu'elle suscite ou entretient. Et surtout, nous allons apprendre à l'accepter, c'est à dire à réaliser qu'elle a le droit d'être là, et que par exemple, sometimes, boys DO cry. C'est tout simplement humain. Nous allons surtout apprendre que cette émotion, comme tout, va passer, et que nous n'avons donc pas à nous y identifier. Je ne suis pas cette angoisse que je sens monter en moi, je ne suis pas cette tristesse qui me serre la gorge. Et ceci est profondément libérateur.


Méditer en présence des émotions a d'autres bénéfices, à commencer par une connaissance plus fine de nous-même et aussi des autres, puisque nous pourrons reconnaître en eux les mêmes émotions qu'en nous, et faire ainsi preuve d'empathie et de compassion. C'est surtout ne pas se priver de vivre une merveilleuse partie de notre existence, celle qui nous permet de goûter la beauté fragile de l'instant ou de traverser les épreuves en en sortant renforcés. C'est en un mot ce qui nous permet d'être intégrés. Intégrés en nous même et dans nos relations familiales et sociales.


Et à l'heure où la pandémie demeure et provoque en nous des émotions diverses, parfois très fortes, parfois contradictoires et où la lassitude peut nous gagner, il peut être judicieux d'en convoquer d'autres plus douce pour nous aider. L'Art fait partie de ces pourvoyeurs de beauté réconfortante, comme ces vers d'Edmond Rostang au second acte de Chantecler , que je trouve assez appropriés :


C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière, D'espérer en ses rêves les plus éphémères, Lorsqu'on n'en n'a plus le courage, Ni même l'envie davantage.

Je vous souhaite de vivre en pleine présence de vos émotions, quelles qu'elles soient, ici et maintenant.



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