Les pratiques STOP et RAIN sont primordiales dans l'accueil des émotions difficiles qui tentent de nous saisir lors de l'exposition à nos stresseurs. Elles permettent respectivement un recentrage sur la réalité de ce qui se passe en nous et d'éviter de nous identifier -ou pire de nous réduire- à ces émotions.
Il arrive toutefois que le stress monte si vite que nous n'ayons pas le temps d'y recourir, ou que nous soyons saisis au point que nous n'arrivions pas à dérouler ces méthodes pourtant simples. Il faudrait quelque chose d'encore plus simple, de pratiquement instantané pour desserrer l'étau du stress, ou plus exactement pour s'échapper avant qu'il ne se resserre et esquiver la saisie.
Illustrons cela par un exemple : la colère.
La colère est sans doute l'une des émotions les plus dévastatrices, pour les autres comme pour soi-même. Sous son empire, le pire devient possible.
Homère fait de la colère d'Achille le point de départ de l'Iliade, où le héros trouvera d'ailleurs la mort. La religion chrétienne en fait un des sept péchés capitaux. Le philosophe stoïcien et homme d'état romain Sénèque en fait le sujet d'un traité entier. Nombre de contes orientaux en montrent les effets dévastateurs et parfois irréversibles.
La colère provoque une montée d'énergie brutale et intense dans le corps. Il n'est pas question de la repousser, c'est du reste impossible, même si l'on médite de longue date.
Personnellement, la montée de la colère est si rapide qu'il n'est pas toujours possible de convoquer STOP ou RAIN avant qu'elle ne m'ait saisi dans ses griffes. Que pourrais-je donc interposer dès le premier signe avant-coureur (en l'occurrence, une boule de feu qui monte du ventre directement à la tête) entre moi et la colère que je sens prête à m'envahir?
J'ai fini par me dire qu'il me fallait un mot. Un simple mot-clé que j'associerais à la colère, qui me rappellerait immédiatement à quel point elle est néfaste, et qui surgirait en moi dès que je la sens monter. Il me servirait de signal pour briser net l'élan de la colère, après quoi je pourrai utiliser STOP et RAIN.
Ce mot devait être court, ce mot devait signifier quelque chose pour moi. C'est dans le traité sur la colère de Sénèque que j'ai fini par le trouver, et ce mot est "Platon". Oui, le philosophe grec.
Sénèque raconte que Platon se mit un jour dans une colère noire contre un de ses esclaves pour une faute quelconque. Il prit son fouet et, ivre de rage, s'apprêtait à le corriger quand il réalisa qu'il était dans un tel état qu'il pourrait le tuer pour une faute somme toute vénielle.
Platon dit alors à voix haute "Je ne m'appartiens plus !" et resta immobile, le bras en l'air. On peut imaginer la scène, avec l'esclave tremblant, attendant le châtiment qui ne vient pas, et Platon le geste suspendu, fouet en main.
Arrive un ami du philosophe qui, étonné, l'interroge : "Mais que fais-tu donc?"
Et Platon a cette réponse que je trouve sublime : "Je punis quelqu'un qui le mérite."
Sans comprendre que le philosophe parle de lui-même, son ami lui répond : "Mais ça n'a pas de sens ! Frappe donc, s'il le mérite !" Et Platon lui tend le fouet en disant : "Punis-le toi-même. Moi, je suis en colère."
Cette anecdote m'a paru si justement refléter mon sentiment profond sur la colère que j'ai fait de Platon le mot-clé, ce que j'appelle le "mot-contact" que je prononce à présent à chaque fois que je sens en moi se gonfler et monter la boule de feu annonciatrice. Cela fonctionne plutôt bien pour moi, aussi je vous livre cette micro-pratique.
J'ai choisi ici la colère, mais vous pouvez transposer ceci à toute émotion difficile que vous trouvez pénible à accueillir. Il vous faudra trouver le mot-contact qui vous convient. Cela peut venir de vos lectures ou même d'une expérience que vous avez vécue avec un stress particulier qui vous aura marqué. C'est éminemment personnel et peut-être votre carnet de bord vous aidera-t-il à trouver vos mots-contacts.
Bonne pratique !
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